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SPONTANEISME, AUTONOMIE DU PEUPLE

Chacun de nous a pensé un jour que la situation politique, sociale, économique et sécuritaire devenait telle qu'un jour le peuple ne le supporterait plus. Explorons ce cas de figure, ses limites, ses causes sociologiques liées à la Corse et le moyen d'exploiter cette situation sans se laisser surprendre ni dépasser.




Le spontanéisme est une théorie développée par Bakounine et Rosa Luxemburg selon laquelle le mouvement révolutionnaire trouve de lui-même sa propre expression et d'action sans se référer aux mots d'ordre, aux structures des organisations ouvrières officielles ou autres. Lénine critiquait bien sûr ce principe. Nous en avons connu un exemple récemment en Corse au lendemain du soir de Noël 2015 où les mouvements nationalistes ont été dépassés par une partie de leurs propres militants et bien au-delà.


Dans le contexte de la fin de la première guerre mondiale en Allemagne, Rosa Luxemburg ( 1870-1919) fondatrice de la Ligue Spartakiste puis du Parti Communiste allemand ( KPD ) suggère une distinction entre la conscience théorique latente, caractéristique du mouvement ouvrier dans les périodes de domination du parlementarisme bourgeois, et la conscience pratique et active, qui surgit au cours du processus révolutionnaire, quand les masses elles-mêmes – et non seulement les députés et dirigeants du parti – apparaissent sur la scène politique ; c’est grâce à cette conscience pratique-active que les couches les moins organisées et "les plus arriérées" (selon les termes usités par l'extrême gauche) peuvent devenir, en période de lutte révolutionnaire, l’élément le plus radical.

De cette prémisse découle sa critique de ceux qui fondent leur stratégie politique sur une estimation exagérée du rôle de l’organisation dans la lutte de classes – qui s’accompagne généralement d’une sous-estimation du prolétariat non-organisé – en oubliant le rôle pédagogique de la lutte révolutionnaire : « Six mois de révolution feront davantage pour l’éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts ». Rosa Luxemburg était-elle donc spontanéiste ? Pas tout à fait… Dans la brochure Grève générale, parti et syndicats (1906), elle insiste, en se référant à l’Allemagne, sur le fait que le rôle de « l’avant-garde la plus éclairée » n’est pas d’attendre « avec fatalisme », que le mouvement populaire spontané « tombe du ciel ». Au contraire, la fonction de cette avant-garde c’est précisément de « devancer (vorauseilen) le cours des choses, de chercher à le précipiter ». Elle reconnait que le parti socialiste doit prendre la direction politique de la grève de masses, ce qui consiste à « fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes a venir, une tactique et des objectifs » . Elle va jusqu’à proclamer que l’organisation socialiste est « l’avant-garde de toute le masse des travailleurs » et que « le mouvement ouvrier tire sa force, son unité, sa conscience politique de cette même organisation ». C’est dans la praxis révolutionnaire des masses que changent en même temps le « dehors », les « circonstances » et l’ « intérieur », la conscience de classe. La conscience révolutionnaire ne peut se généraliser qu’au cours d’un mouvement « pratique », le changement « massif » des hommes ne peut s’opérer que dans la révolution elle-même. La catégorie de la praxis – qui est, chez elle comme chez Marx, l’unité dialectique de l’objectif et du subjectif, la médiation par laquelle la classe en soi devient pour soi – lui permet de dépasser le dilemme figé et métaphysique de la social-démocratie allemande, entre le moralisme abstrait de Bernstein et l’économisme mécanique de Kautsky : tandis que, pour le premier, le changement « subjectif », moral et spirituel du peuple est la condition de l’avènement de la « justice sociale », pour le deuxième, c’est l’évolution économique objective qui mène « fatalement » au socialisme.


Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht : la praxis révolutionnaire spontanéiste comme méthode d'éducation des masses.




Cela permet de mieux comprendre pourquoi Rosa Luxemburg s’opposait non seulement aux révisionnistes néo-kantiens, mais aussi, à partir de 1905, à la stratégie d’attentisme passif prônée par le « centre orthodoxe ». De même, c’est la dialectique de la praxis qui lui permet de dépasser le traditionnel dualisme incarné dans le Programme d’Erfurt, entre les réformes, ou le « programme minimum », et la révolution, ou « le but final ». Par la stratégie de la grève de masse, qu’elle propose en 1906 (contre la bureaucratie syndicale) et en 1910 (contre Kautsky), Rosa Luxemburg trouve précisément une voie capable de transformer les luttes économiques ou le combat pour le suffrage universel en un mouvement révolutionnaire général. Par ailleurs, selon Rosa Luxemburg, au cours d’un soulèvement radical des masses ouvrières, la séparation que le « pédantisme schématique » veut établir entre la lutte économique (syndicale) et la lutte politique (social-démocrate) disparaît : elles deviennent deux faces entremêlées de la lutte des classes, et la limite artificielle tracée entre syndicat et parti socialiste est effacée. Refusant ainsi l’opposition entre « conscience trade-unioniste » et « conscience social-démocrate » (Lénine), elle suggère une distinction entre la conscience théorique latente, caractéristique du mouvement ouvrier pendant la période de domination du parlementarisme bourgeois, et la conscience pratique et active, qui surgit dans le processus révolutionnaire, quand la masse elle-même (et non seulement les députés et dirigeants du parti) apparaît sur la scène politique, cristallisant son « éducation idéologique » directement dans la praxis. C’est grâce à cette conscience pratico-active que les "couches arriérées et non organisées" constitueront, en période de lutte révolutionnaire, l’élément le plus radical, et non l’élément à la traîne.


L’idée d’effectuer une synthèse qui surmonte dialectiquement le spontanéisme et le sectarisme a été probablement suggérée à Georg Lukács par sa propre expérience de commissaire du Peuple dans l’éphémère République des Conseils ouvriers de Bela Kun en Hongrie (mars-juillet 1919). Dans cette expérience révolutionnaire, « les énergies révolutionnaires spontanées de la classe ouvrière représentaient une force immense », mais sa défaite rapide a montré que « si la spontanéité révolutionnaire de la classe ouvrière est à la base de la révolution prolétarienne, on ne peut fonder sur cette unique force la dictature du prolétariat » Par ailleurs, après la victoire de la révolution bolchévique d’Octobre et l’échec du soulèvement « spartakiste » de janvier 1919, il était nécessaire d’établir un bilan idéologique des thèses organisationnelles qui subissaient, dans le processus révolutionnaire, un test décisif.


La stratégie spontanéiste démontré ses limites et la neutralisation contemporaine des "Nuits debout" en est l'exemple actuel. La cause principale en est l'absence et le refus revendiqué de toute dimension ethno-culturelle au mouvement, alors même qu'aujourd'hui plus qu'hier encore du fait de la relativité de la notion de classe, les déterminismes traditionnels seuls sont susceptibles de "lier le faisceau" des énergies et consciences spontanéistes. Les "multitudes" d'Antonio Negri , les "99%" d'Occupy, les Indignés et autres Podemos ne sauraient pour cette raison être des sujets politiques révolutionnaires. Ils relèvent de l'escroquerie intellectuelle voire d'éléments de chaos contrôlé au service d'une gouvernance globale.



Spontanéisme organique en action. Né à Dresde au cœur du pays des Saxons, le mouvement de résistance populaire anti-mondialiste PEGIDA, se renforce et fragilise la dictature Merkel





Reste que ce phénomène spontanéiste est une réalité du contexte corse actuel et à venir car il est l'expression de la désaliénation du peuple par rapport aux trois cercles d'oppressions que sont le capitalisme, le colonialisme et le clanisme dégénéré. Plus qu'une lutte active, il signifie clairement que les partis, en particulier nationalistes, ne sont qu'une convention représentative plus qu'une finalité de type claniste. En Corse et malgré ce que l'on peut dire, c'est le peuple qui reste souverain parce que, inconsciemment et malgré les difficultés de l'acculturation, notre société traditionnelle est encore vivante, avec ses normes et ses désirs.


"L'étincelle qui met le feu aux poudres", selon l'expression de Luxemburg, se trouve dans une connexion des mécanismes sociologiques entre la Théorie de l'autodétermination (Croissance et besoin d'autonomie, intégrité et besoin de compétence, bien être et relation à autrui) et les moyens de lutte contre l'anomie (buts culturels comme souhaits et attente des membres de la société, besoin de normes qui précisent les moyens permettant aux gens d'atteindre leur but, répartition de ces moyens).

Ces besoins individuels intègrent la société. Au regard de l'aspect sociologique, La lutte est un besoin collectif contre la décadence (anomie) et, en second temps, du point de vue spontanéiste la lutte forme la masse. C'est ici qu'intervient en partie l'aspect culturel (en partie car une certaine permanence de faits rend le phénomène quasi universel, du moins pour les peuples ayant conservés une forte identité): Ce qui définit l'autonomisation du peuple est la spontanéité violente et raisonnée, selon les normes de la société et de la justice culturelle (cf José Gil, La Corse, entre la liberté et la terreur); la spontanéité échappe à l'embrigadement et au contrôle par les trois cercles d'oppression. Les rassemblements de masses, l'organisation paramilitaire, l'action directe permanente, le concept de paix civile armée; un rejet de la classe politique, une réappropriation des symboles nationaux; une forme de révolution conservatrice par sa référence aux valeurs et à l'identité sont ces principales caractéristiques. On retrouve tout cela dans l'action poujadiste des caves d'Aléria en 1975, dans la création du FLNC à ses débuts jusque à sa "centralisation Léninienne" par la suite ainsi que dans la révolte du Chiapas au Mexique. Révolte d'ailleurs tout d'abord mal comprise par la gauche française.



Selon la théorie de l'autodétermination (TAD), l'être humain a trois besoins fondamentaux qui sont la croissance, l'intégrité et le bien être. C'est la rencontre de ces idées simples avec une culture forte ou encore "corps primitif' qui créent ce phénomène de réaction à la pensée unique et à la corruption. C'est de là que naît le Katéchon, la force protectrice de la civilisation. Cette force n’apparaît pas ex nihilo car elle est l'héritière d'un déterminisme historique. C'est de cette défiance spontanée ou "foudre d'Apollon" que le peuple fonde l’État car la révolution naît au moment où l'idée de droit officielle ne rencontrant plus d'échos dans la conscience juridique des membres de la collectivité, une idée de droit nouvelle surgit, servie par un pouvoir agissant, dont le but est de remplacer les autorités établies pour introduire dans l'organisation sociale les principes directeurs de l'idée dont il incarne l'énergie.


Ainsi, si le nationalisme corse a apporté une impulsion salutaire et a donné au peuple des outils politiques pour reprendre conscience de sa puissance, il apparaît chaque jour qu'un fossé de plus en plus large se creuse entre ses représentants et lui. Fatalement, l'un finira par écraser l'autre. L'autonomisation du peuple ne se fonde pas spontanément; un peuple tribal ne forge pas un État du jour au lendemain de sa propre initiative. Il a acquis auparavant une foule d'informations, une formation politique, philosophique, spirituelle etc. qui, pour qu'elles soient ingérées, doivent entrer en résonance avec la réalité culturelle et anthropologique de l'endroit. C'est le déterminisme historique de l'enracinement qui parvient à ce travail. La mythologie collective devient alors le point de référence concret. L'autonomie est fondée sur la loi, ce qui nous amène au "droit d'être injuste", c'est à dire choisir la Cité contre ce qui se définit par nature comme son ennemi. De cette façon on fonde l’État sur les bases des acquis philosophiques et politiques qui nous sont propres. Et c'est à ce moment que l’État redéfinira la Nation. La spontanéité est ce qui est incontrôlable par l’État colonial comme par les politiques. Il n'y a pas de leaders. Le leader, c'est la foule, la capacité collective mais elle exige une culture politique commune. Dans le cas corse, la doctrine politique n'est que l'expression d'un être profond collectif organique et traditionnel. Il ne s'agit pas contrairement aux délires marxistes, de "transformer le peuple" mais d'éliminer ce qui s'oppose à l'accomplissement naturel et sur-naturel de sa Mission en ce monde.


Quand la doctrine commande, elle pose naturellement le cadre de la lutte contre l'anomie. L’État, la doctrine et le peuple formant un tout organique grâce à la culture. C'est en connaissant cette base sociologique que l'on peut monter une stratégie concrète afin qu'un mouvement populaire spontané (et par définition difficile à anticiper) puisse apporter sereinement un nouvel acte sur la scène politique puisque s'appuyant sur une base culturelle intégrée, la lutte devient formatrice. La permanence de l'insoumission, par petites impulsions, peut par elle-même créer le basculement politique. Allier ce constat aux méthodes de Sorel ou (et) de Soros permettra de renverser l'Histoire dans un avenir proche; par nécessité. Reste pour certains militants à apprendre à renoncer aux fausses idoles que l'on adore encore par orgueil, sans admettre que l'on s'est trompé, ou pour mieux dire, renoncer à ce qui n'était qu'une convention temporaire et a oublié sa nature.


A Squadra

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